Dhant'Oo erre
dans les Bas-fonds de la ville endormie… Il est en piteux état aujourd’hui, sa
nuit a été courte, et les Courants sont violents et tourmentés aujourd’hui…
Perdu dans ses pensées, il déambule au gré des ruelles étroites, flanquées de
murs décrépits… Le salpêtre s’accumule, et son odeur emplit l’air de remugles
nauséabonds et entêtants, tels les vapeurs d’autrefois…
Un souvenir
confus affleure à la lisière de l’esprit de celui que l’on nomme l’Albinos,
puis disparait, non sans laisser une curieuse sensation… Dhant’Oo ressent les
battements de son cœur comme un rythme de batterie…Tchac, boum...Tchac, boum… A
l’ordinaire ses pulsations sifflent comme des serpents, mais à cet instant
précis, le temps semble figé…
Malgré sa
haute stature, malgré sa silhouette plus qu’imposante, malgré le blanc crayeux
de sa peu, et l’éclat rouge et métallique de son regard, Dhant’Oo n’est plus qu’un élément du décor, totalement vide.
Seules quelques personnes lui portent attention : ses pairs, qui tout
comme lui sillonnent ce monde depuis trois décennies… Et encore, eux-mêmes ne
le connaissent pas autrement qu’étant l’Albinos… Nul ne connait Dhant’Oo comme
il connait ce monde… Ce monde qui se décrépit sous ses yeux, rongé par un mal
infâme et innommable… Lui seul sait les enjeux de la guerre qui se trame, sans
que quiconque ne la sente approcher…
L’homme blanc
semble perdu dans ses pensées, et pourtant Duu-Jeh sens son esprit, tendu vers
toutes choses. Il sait pertinemment que son arrivée en ville va faire bouger un
grand nombre de terreurs, tapies dans la fange des égouts… Mais ce cloaque est
son territoire, et jamais, aussi loin que remontent les âges, personne n’a vu
un Albis le dominer.
Aussi
décide-t-il de se matérialiser devant lui, de la façon la plus discrète
possible… La génération d’un courant d’air créant dans l’espace une silhouette
invisible et impalpable, mais qui possède pourtant toutes ses capacités de
vision, inspiration et mesures psychiques. Cette matérialisation est le sommet
de son art, il a même réussi à surprendre son maitre avec ! Cependant
l’étrange homme à ressenti quelque chose : en effet son esprit s’est légèrement
rétracté autour de lui, comme un voile protecteur, mais pourtant agressif,
acéré. Si Duu-Jeh devait lui donner une couleur il parlerai d’un pourpre teinté
de violine, couleurs qu’il associe pourtant habituellement aux vampires
hybrides qu’il aime tant à chasser ! Cette prise de conscience, ainsi que
du danger qui y est lié, l’incite à passer au second stade de sa
matérialisation, sensé éloigner tout danger : il fixe au fond de ses yeux
invisibles une image inoffensive d’un chat faisant sa toilette, puis l’incruste
au fond de la rétine de l’homme qui lui fait face, désormais arrêté, inquiet,
au milieu de la ruelle…
Quelque chose
de bizarre est en train de se passer : tout d’abord le trouble de l’odeur
de l’air, puis ce chat se toilettant, un mètre au dessus du sol ! Réalisant
qu’il est sous l’emprise d’une hallucination, il ouvre grand les yeux et
projette son regard rouge sur le monde qui l’entoure… Nulle ombre ne surgit
derrière les objets qu’il connait et qu’il sait à leur place. Il songe à cesser
cette exploration virtuelle des plus épuisantes, lorsque soudain une ombre
rouge s’étend petit à petit au milieu de la ruelle, l’ombre d’un homme.
Dhant’Oo s’adresse alors à
Duu-Jeh, d’une manière impérieuse :
« Présente toi à moi avec
autant d’adresse que tu t’es caché, et je serai alors ton allié. »
Duu-Jeh brouilla alors l’air de
façon visible, de plus en plus intensément, puis se glisse avec adresse au sein
du tourbillon, que lentement il calme, puis il déclame :
« Que me vaudrai donc
l’alliance de mon meilleur et seul ami ? » Retirant son châle de
devant sa bouche, il offre son visage à la vue de son frère d’âme, second
disciple de feu leur maitre…